Rencontres avec des berbères
La région de Tiznit dans laquelle nous avons passé les premiers jours de notre voyage, est surtout peuplée par des berbères dont le nom vient du mot barbare connu chez nous des Romains et qui a la même connotation péjorative. Les berbères s’appellent eux-mêmes Amazighs ou Tamazighs, ce qui veut dire « hommes libres » et c’est ainsi que je vais les décrire ici.
Le soleil brillait à Agadir au moment où nous avons frappé à la porte de Fatima Tabaamrant qui nous accueillait chez elle pour faire une interview.
Insignifiant de l’extérieur, nous entrons dans un intérieur d’autant plus spectaculaire. Des arcs décorés, un canapé entourant le salon, des tableaux géants montrant des chanteurs tamazigh célèbres et une fenêtre qui, fermée, ne laisse que passer une lumière tamisée rougeâtre, formaient l’atmosphère idéale pour un entretien sur l’identité et la mondialisation, sur la tradition et le progrès, sur le passé et le futur. Nous recevons un accueil chaleureux de cette femme remarquable qui est devenue une célèbre chanteuse et poète, fondatrice de la poésie renaissante en tamazigh et qui est la première à avoir posé une question en tamazigh au parlement marocain. Un pas important pour ce peuple qui représente une grande partie de la population marocaine, et qui pendant trop longtemps a été défavorisé et négligé. C’est au cours de l’année dernière, durant les réformes de Mohammed V suscitées par le printemps arabe, que sa langue a été officialisée et mise à égalité avec l’arabe.
C’était la deuxième interview que nous avons filmée et la première menée avec un interprète car Mme Tabaarant ne parlait ni le français, ni l’arabe. Rachid, notre hôte de Tiznit et maintenant interprète, accomplissait son devoir de manière impressionnante. Seul le poème qu’elle nous récitait d’une voix forte et chargée d’émotion restait sans traduction. Pendant quelques minutes régnait un silence recueilli et nous écoutions, fascinés, ces mots en langue étrange. Même après la fin de la récitation nous persistions dans notre silence.
Nous n’avions pas compris un seul mot, mais les paroles nous ont profondément touchées.
Après l’entretien, nous avons eu l’opportunité de visiter les archives privées de Fatima Tabaamrant. Tous les prix, les médailles, les diplômes qu’elle a collectionnés au long de sa carrière étaient autant présents qu’un tapis brodé, des CDs et des recueils de poèmes, des objets quotidiens d’une époque passée et une photo du roi Mohammed VI. Ces derniers nous rappelaient un sentiment dont nous n’arrivions pas à nous défaire, malgré cette expérience vraiment enrichissante, et qui nous est venu déjà lors de nos premiers entretiens avec des Tamazighs.
Le soir précédant, nous avions d’abord fait la connaissance de Saïd, professeur de Tiznit qui nous parlait avec enthousiasme de l’héritage de son peuple, du passé, de sa langue et de son identité, et de l’importance de la tolérance.
C’était un entretien intéressant et plein de belles idées comme celui que nous avons mené juste après avec Nezha Abakarim, chanteuse, poète et politicienne qui nous recevait juste avant minuit chez elle. Cela prit un peu de temps avant qu’elle ne s’ouvre, mais elle chanta finalement une de ses chansons et récita un poème avec autant d’émotion que Mme Tabaamrant.
C’était une expérience inoubliable d’avoir fait au moins une première connaissance avec cette culture énormément riche à travers quelques-unes de ses représentantes exceptionnelles, mais le sentiment déjà mentionné demeurait.
A toutes nos questions d’une importance plus générale, des questions sur le futur du Maghreb, sur le rôle de l’Islam, sur des formes de sociétés possibles, nous n’avons reçu que des réponses par rapport aux Tamazighs. Une vision allant au-delà de leurs intérêts ne nous atteignait pas. Même Fatima Tabaamrant ne voyait son devoir politique que dans le renforcement du rôle de son peuple. Au vu de la longue oppression, cela est tout-à-fait compréhensible, mais il serait souhaitable que les Tamazighs relèvent les défis de la modernité et créent une symbiose fertile avec la partie arabe de l’héritage culturel du Maghreb. Et cela implique un travail sur des questions qui vont au-delà de leur propre identité.
Nous remercions en tous cas nos trois interviewés de nous avoir accueillis, d’avoir énormément élargi notre pensée et pour la présentation fascinante de leur culture. Nous leur souhaitons du bon courage dans leur lutte pour la reconnaissance et la valorisation de leur culture et nous espérons de pouvoir donner une petite contribution à cette lutte en faisant ce projet.
Je vous invite donc, chers lecteurs et lectrices, à vous réjouir de la poésie et du son de la langue.
Article de Robert Friedrich (15 Juillet 2012)
Source: made-in-maghreb.com